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      Thème : Prospective
      1ère publication: 12.12.2020       Dernière mise à jour: 05.11.2023

L'hydrogène est-il une solution d'avenir pour le stockage d'énergie ?

Le stockage d'énergie sous forme d'hydrogène - quels intérêts et difficultés ?

L'hydrogène n'est pas une source d'énergie primaire mais un vecteur d'énergie


Produire du dihydrogène (H2) permet de stocker et transporter une partie de l'énergie qui a servi à sa production. Stocker de l'énergie sous forme de dihydrogène implique de perdre une partie importante de l'énergie de départ, à cause du processus de transformation.
L'hydrogène n'apporte pas de solution sur la manière de "produire" de l'énergie, mais apporte une solution de stockage. La comparaison avec un carburant fossile issu du pétrole comme l'essence ou le kérosène serait biaisée car ces carburants fossiles n'ont demandé que peu d'énergie pour être obtenus : ils sont à la fois source d'énergie et moyen de stockage liquide très pratiques, ne nécessitant qu'un simple récipient ou réservoir (ce qui a fait leur succès).
En résumé :
  • Investissez un peu d'énergie pour extraire du pétrole et le transformer, vous obtiendrez beaucoup plus que l'énergie investie (sous forme d'essence, kérosène, mazout, etc)
  • Investissez cette même quantité d'énergie pour obtenir du dihydrogène, vous obtiendrez une quantité d'énergie bien inférieure à celle investie.


  • Les rôles de la pile à combustible et du réservoir d'hydrogène


    La plupart des véhicules à hydrogène ont besoin de ces 2 éléments :

  • le réservoir d'hydrogène : pour stocker une quantité intéressante d'hydrogène, celui-ci est stocké sous forme liquide (à haute pression) ou solide.
    Dans les 2 cas il s'agit d'un défi pour la recherche et l'industrialisation (solidité du réservoir tout en gardant un poids raisonnable, etc)

  • la pile à combustible : elle est alimentée par le réservoir et sert à convertir l'hydrogène en électricité.
    Là aussi ce convertisseur présente un défi pour la recherche : une pile à combustible contient des électrodes et une membrane, qui doivent être stables, résistantes, durables et où on tente de diminuer l'utilisation de matériaux nobles.


  • Applications déjà existantes


  • bus, chariot élévateur, vélo : des applications sans grande contrainte d'autonomie et d'éloignement des points d'approvisionnement, et ne nécessitant pas un réseau d'approvisionnement à large échelle, ni déployé sur la totalité du territoire.

  • bus hydrogene energie 2018


    Limites et inconvénients de l'hydrogène


  • l'importance des rendements : avec un rendement à la production d'hydrogène (en partant d'électricité) inférieure à 50%, la quantité d'énergie perdue dans la transformation est loin d'être négligeable. L'hydrogène semble particulièrement adapté à un contexte d'énergie électrique produite en sur-quantité, que l'on chercherait à stocker, même avec un rendement bas.
  • application automobile : en dehors de la difficulté de conception de réservoir à haute pression suffisamment résistant, il y a le problème majeur du réseau de distribution : installer un réseau de distribution d'hydrogène à l'échelle d'un pays est extrêmement coûteux et pose des contraintes techniques importantes. Le problème est bien moindre pour un réseau plus petit et local, où le nombre de points d'approvisionnement est volontairement limité, tel que pour une flotte de bus d'une ville.
  • quelle dépendance aux énergies fossiles ? Fabriquer et maintenir les sources d'énergie fournissant l'électricité nécessaire, fabriquer les convertisseurs, ainsi que les piles ou réservoirs à hydrogène (high-tech) nécessitent matériaux et énergies, actuellement directement ou indirectement liés aux énergies fossiles. Quel avenir pour une filière hydrogène dans un contexte de crise pétrolière ?
  • utilisation à large échelle dans l'aéronautique très improbable aujourd'hui, à cause de la difficulté de stockage d'hydrogène sous haute pression (réservoir nécessitant d'être volumineux et très résistant, donc d'un poids important. Notons aussi la difficulté de produire des quantités massives d'hydrogène pour un secteur aussi énergivore que l'aviation.


  • Ordre de grandeur
  • un kilo d’hydrogène à la pompe permet de parcourir environ 100 km en automobile (automobile moyenne actuelle, c'est à dire d'environ 1,3 tonne).
  • prix en 2020 d'environ 2 € le litre pour de l’hydrogène carboné, et 6 € pour l’hydrogène vert issu d’électrolyseurs [1]


  • L'hydrogène et l'automobile


    Les 2 inconvénients majeurs de l'hydrogène appliqué à l'automobile individuelle sont le coût de déploiement du réseau de distribution et la perte d'énergie lié aux rendements. Convertir une station service au stockage et à la distribution d'hydrogène demande des investissements bien plus élevés que dans le cas d'une conversion à l'électrique.
    La fabrication, les stockages intermédiaires et le transport de l'hydrogène posent le problèmes des rendements énergétiques face à la concurrence de la voiture électrique, plus simple et efficace.
    rendements énergétiques automobile électrique versus hydrogène


    2021 : "Un rapport du Financial Times a mis en évidence les réticences de plusieurs constructeurs à continuer d'investir dans l'hydrogène.
    « Vous ne verrez aucune utilisation d'hydrogène dans les voitures », a déclaré le PDG de Volkswagen, Herbert Diess, fan déclaré de Elon Musk et Tesla, au Financial Times. « Pas même dans 10 ans, parce que la physique derrière tout cela est tellement déraisonnable. »

    Les chiffres de rendements ci-dessous montrent qu'une voiture à propulsion hydrogène est avantageuse face à l'archaïque moteur à combustion fossile. Néanmoins le tout électrique propose un rendement global nettement meilleur, ce qui signifie aussi un coût final de l'énergie, à l'usage, probablement plus avantageux pour l'utilisateur :

    comparaison des rendements entre véhicules électriques hydrogène thermiques


    L'hydrogène et le transport aérien


    Le transport aérien actuel est dimensionné par l'immense disponibilité du pétrole, donc du kérosène, et par le prix très bas de celui-ci, surtout qu'il n'est pas taxé...
    Qu'en est-il d'un secteur aérien qui renoncerait au pétrole/kérosène pour passer à une utilisation massive de l'hydrogène ? (en admettant que les technologies de stockage adéquates étaient disponibles)
    Cette étude [2] avance quelques estimations de la quantité d'hydrogène à produire pour satisfaire le trafic aérien du seul aéroport français Paris-Charles-de-Gaulle :

    "Pour l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, les chercheurs ont calculé qu'il faudrait entre 10.000 et 18.000 éoliennes, soit l'équivalent d'un département français, 1 000 km² de panneaux photovoltaïques, ou 16 réacteurs nucléaires."

    "La question, n’est pas d’être pour ou contre l’aviation mais de poser la question de son usage et de son rôle dans une société, en prenant en compte les limites physiques et écologiques qui conditionnent notre avenir. Envisager le maintien, et a fortiori la croissance du trafic aérien est tout simplement une vision hors-sol qui se heurte à des limites physiques clairement identifiées".

    Une fois encore, l'extrême voracité énergétique de l'aviation pose la question de sa soutenabilité, indépendamment des technologies envisagées.

    Le choix et la faisabilité d'un transport aérien de masse par la technologie hydrogène sont également critiqués par le collectif SUPAERO-DECARBO :


    Airbus est-il le seul à croire à l'hydrogène pour le secteur aérien ? Les articles ci-dessous, parus dans l'Usine Nouvelle, montrent les doutes des autres acteurs de la branche.

    Safran doute de l
    Le patron de Safran réitère ses réserves vis-à-vis de l’avion à hydrogène d’Airbus (Usine Nouvelle - 14 novembre 2022)


    Dassault ne croit pas en l
    Le patron de Dassault «ne croit pas» en l’avion à hydrogène (Usine Nouvelle - 23 mai 2023)


    L'hydrogène et le ferroviaire


    Dans le cas du train, la solution énergétiquement la meilleure est de loin l'électrification des voies (lignes aériennes), qui permet des rendements énergétiques très élevés.
    Mais qu'en est-il des lignes difficiles à électrifier ? Le ferroviaire minimise en effet 2 inconvénients importants de l'hydrogène : les coûts élevés liés aux lieux de stockage et aux points de distribution (des coûts qui disqualifient l'usage généralisé de l'hydrogène pour l'automobile).
    Une étude commandée par le Land de Baden-Württemberg (Allemagne) permet de comparer les coûts des différentes technologies :
    "Sur la ligne Westfrankenbahn, le coût total de possession, sur trente ans, d'un train alimenté à l'hydrogène serait de 849 millions d'euros, contre 506 millions d'euros pour un train hybride à batterie et 588 millions d'euros pour un train électrique conventionnel."
    "Sur la Nagoldtalbahn, les différences de coûts sont encore plus importantes, l'hydrogène coûtant 476 millions d'euros, contre 262 millions d'euros pour l'hybride à batterie, soit 81 % de moins."

    Les inconvénients listés par le rapport :
    - stations de remplissage coûteuses
    - faible efficacité, consommation d'énergie élevée et coût élevé
    - nécessité éventuelle d'augmenter le nombre de trains car l'autonomie ne serait pas suffisante pour une journée entière de voyage
    - disponibilité limitée de l'hydrogène vert
    - nécessité de réapprovisionner continuellement les stations de remplissage d'hydrogène

    Si ces inconvénients, impactant négativement les coûts, ont motivé le Land de Baden-Württemberg à abandonner l'idée de trains à hydrogène, un autre Land a ouvert une ligne ferroviaire 100% hydrogène.

    train à propulsion hydrogène
    L'entreprise Alstom a lancé depuis 2016 un train à hydrogène : le Coradia iLint.


    Les antécédents de l'Islande


    Divers projets ont eu lieu en Islande, dans le domaine de la mobilité, dès 2001 : ces projets concernaient des lignes de bus et automobiles, et sont restés des projets de démonstration ou très limités en taille. Malgré le succès technique, la mobilité terrestre à hydrogène ne s'est pas généralisée en Islande.
    Le secteur de la pêche, qui est primordial pour l'Islande et très dépendant du pétrole, a également connu un projet de chalutier à hydrogène (pile à combustible) vers 2005-2007. Ce projet n'a pas été suivi d'autres tentatives.
    En définitive, à cause de la dépendance au pétrole et des transports, les émissions de CO2 par habitant de l'Islande étaient toujours supérieures à la moyenne européenne en 2017.


    Le stockage d'énergie sous forme d'hydrogène : un pari industriel risqué ?


    L'émergence soudaine de nombreux investissements et plans nationaux et européens en faveur de l'hydrogène est liée à un double espoir : freiner la désindustrialisation de certains territoires (ou le risque de désindustrialisation) et trouver un moyen de décarboner massivement l'économie.
    Le choix de l'hydrogène relève en partie du pari politique, pas nécessairement d'une évolution logique, incontournable : de nombreuses questions demeurent [3].
  • la capacité future à produire des quantités importantes d'hydrogène, sans source d'énergie fossile, et pour un coût relativement bas
  • la distribution : l'hydrogène est très difficile à transporter en grande quantité - les défis techniques sont immenses de ce côté.

  • "La production d’hydrogène demande énormément d’énergie, et son utilisation n’est pas toujours la plus efficace. Ainsi, un litre d’essence contient autant d’énergie que quatre litres d’hydrogène liquéfié – et rendre le H2 liquide est un processus coûteux. Les piles à combustible ont également un rendement deux à trois fois plus faible que les batteries."
    Cédric Philibert, chercheur, ancien de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) : « Il y a quelques usages dans le transport qu’on ne peut pas électrifier, comme le maritime, mais il faut être prudent ». Il estime qu'utiliser l’hydrogène pour les voitures individuelles, voire pour certains transports en camion, ne devrait pas être la priorité. [3]

    "Les volumes [d'hydrogène] nécessaires pour la chimie, la sidérurgie, l’aérien et le maritime sont considérables : les effets d’échelle seront là. Il faudra accélérer très fortement le déploiement des énergies renouvelables, car elles devront de surcroît remplacer les centrales thermiques pour les autres usages []"
    "Si l’hydrogène « bleu » ou « turquoise » vient en renfort, tant mieux, mais ne pas choisir la technique la plus efficace pour chaque usage, ce n’est pas accélérer la transition, c’est la ralentir." - Cédric Philibert [4]

    anticiper.org

    Sources
    [1] L’hydrogène tiendra-t-il ses promesses ? (CNRS Le Journal - 2020)

    [2] Toulouse : des chercheurs critiquent Airbus pour sa promotion de l'avion à l'hydrogène (France3 Regions - sept 2020)

    [3] L’hydrogène, une solution incertaine pour la mobilité (Le Monde - 27 mars 2021)

    [4] A trop demander à l’hydrogène, on ne rend pas forcément service à la transition énergétique (Le Monde - 30 octobre 2020)


    Pour aller plus loin
    Avion à hydrogène: quelques éléments de désenfumage (blog Mediapart - Atecopol - 29 septembre 2020)

    Lettre aux salariées et salariés de l’aéronautique toulousaine (Atecopol - 27 juillet 2020)

    The Hydrogen Hoax : Confessions of a Former Hydrogenist - cassandralegacy.blogspot

    Podcast Les Echos - "L'hydrogène : des tonnes de promesses et beaucoup d'inconnues"

    "Are technology myths stalling aviation climate policy", P. Peeters et al., Transport. Res. Part D 44, 30 (2016).

    Quelle énergie pour l'aviation post-pétrole ? (anticiper.org - 7 février 2021)

    "La mort de la voiture et l'aviation ?!" - Aurélien Bigo | entretien LIMIT - 28 février 2023



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