Thème : Prospective
1ère publication: 27.09.2023 Dernière mise à jour: 22.11.2023 Biais cognitifs et gestion du risque
Comment nos façons d'anticiper le futur peuvent mener à de graves erreurs
Ce texte fait référence à l'article de Gérald Bronner, sociologue français, membre de l'Académie nationale de médecine, de l'Académie des technologies et de l'Institut universitaire de France :
"QUELQUES BONNES RAISONS DE MAL ANTICIPER LE FUTUR"
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L'Année sociologique (1940/1948-), Troisième série, Vol. 46, No. 2, Études sur le risque et la rationalité (1996), pp. 339-358 (20 pages)
Gérald Bronner y expose trois modes d'anticipation du futur couramment utilisés par les individus. Si ces modes donnent des résultats en général acceptables, il démontre qu'ils peuvent aussi mener à des erreurs spectaculaires.
La prévision à l'identique
Il serait difficile voire impossible de vivre en tentant d'anticiper tous les problèmes possibles à chaque instant de la vie : l'être humain se simplifie la tâche en estimant que le futur a de bonnes chances d'être similaire au présent. Par exemple, un individu estime que les autres automobilistes respecteront aujourd'hui autant le code de la route qu'ils ne le faisaient hier. Ou que l'argent, la monnaie, aura demain une valeur quasi-identique à celle d'aujourd'hui. C'est ce qui est nommé la
prévision à l'identique.
Cette simplification, inévitable dans la vie en société, a un inconvénient majeur : l'individu est aveugle aux changements brusques les moins probables.
Difficile de ne pas penser ici à la
théorie du cygne noir de Nassim Taleb : celle-ci suggère que les biais cognitifs rendent les gens aveugles, individuellement et collectivement, à l'incertitude et au rôle massif dans l'Histoire des événements rares.
La prévision influencée par le rythme du présent
Face à un phénomène en évolution, Gérald Bronner décrit notre tendance à simplifier notre prévision à une progression "linéaire" du phénomène.
Un phénomène qui progresse en accélérant ou décélérant rapidement a tendance à être "simplifié", perçu mentalement comme une progression linéaire qui changera peu.
Dans l'exemple d'un phénomène en croissance forte, celui-ci risque de donner lieu à des prévisions trop simplistes de croissance à un rythme équivalent dans le futur : les prévisions sont biaisés par le rythme du présent, trop facilement extrapolé aux situations futures. On parle alors de biais du rythme présent, ou "pente du présent".
Dessin humoristique sur une prévision de croissance absurde basée sur la tendance actuelle (rythme du présent) :
Dessin : Jessie Robinson
Un autre exemple est celui d'une progression exponentielle du nombre de contaminés lors d'une pandémie : notre difficulté à évaluer mentalement ce qu'est une progression exponentielle créée un biais, qui nous amène à sous-estimer la rapidité de propagation (la progression exponentielle réelle risque d'être évaluée comme si elle était linéaire, donc moins rapide).
Le cerveau humain simplifie sa tâche en considérant surtout l'augmentation immédiatement perçue, aujourd'hui.
Cette affiche, utilisée en 2020 lors de la pandémie de COVID-19, montre visuellement une propagation exponentielle (cas du haut), facilement sous-estimée :
Affiche utilisée dans la région du Nunavut, Canada
La tendance à trop considérer le rythme présent dans la progression d'un phénomène peut mener à d'importantes erreurs, à des estimations bien trop optimistes ou pessimistes.
Les probabilités composées
G. Bronner décrit un troisième mode d'anticipation, peu efficace quant à l'estimation du risque, chez la majorité des personnes : il s'agit des approximations trop optimistes effectuées face à un cumul de risques, de probabilités que des étapes d'un projet échouent.
Si un projet consiste en plusieurs étapes, où chacune à une faible probabilité d'échec, le cumul de tous les risques d'échec peut amener finalement à une forte probabilité d'échec du projet complet : G. Bornner démontre que nous peinons à percevoir ces fortes probabilités d'échec dans ces cas.
Pour aller plus loin :
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La tangente au présent et l'ordinateur quantique (pourlascience.fr - 25 juillet 2018)
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